Richard Medioni
ancien rédacteur en chef de Pif Gadget nous fait l'honneur de nous raconter
L’HISTOIRE DU NUMÉRO 27
certains scans proviennent de http://www.pif-collection.com

oncle_richard.jpg (41860 octets)2 juin 2003
Cela fait près de deux mois que j’ai fait ce pari stupide. Bon sang! Comment ai-je pu proposer à Renaud une telle chose?
Son site «Pif Gadget n° 27» est une sacrée bonne idée et je lui en avais fait part. Et puis, pour lui faire plaisir, je lui ai proposé de lui écrire un texte racontant, trente-quatre ans après, l’histoire de ce numéro 27.
Mais que puis-je bien raconter sur ce numéro qui ne se distingue en rien d’un autre? J’ai beau avoir de la mémoire, cela me semble «mission impossible» et Renaud va me prendre pour un rigolo qui promet n’importe quoi.

3 juin 2003
Le n° 27 se trouve dans une grande boîte en carton tout en haut d’un placard. Je l’ai mis sur mon bureau et je l’ai regardé de travers comme s’il s’agissait d’un numéro «hostile». Je sens que je ne pourrai jamais dire grand chose sur lui. Ah, s’il s’était agi du numéro de la Poudre de Vie ou des Pois Sauteurs, j’aurais pu en raconter des tartines, mais le n° 27... tu parles!

5 juin 2003
Bon, je m’y mets...
Et pourquoi ne pas faire ça demain?

15 juin 2003
Je respire un grand coup et...

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Page 1

pif-01-1.jpg (41686 octets) Au début, nous avions pris le parti de commencer l’histoire de Pif en page 1 sans faire référence au gadget. Mais on s’est vite aperçu que toutes les couvertures de Pif Gadget se ressemblaient. Si bien que des acheteurs peu perspicaces pouvaient croire que le numéro présenté chez leur marchand de journaux était le même que celui de la semaine passée.
Alors, on a varié les «une» avec une couverture de Cézard, puis une autre sur les Tristus-Rigolus, une autre de Gotlib, une autre encore de Mandryka pour en arriver à cette «une» historique où, pour la première fois dans un grand dessin, apparaissent Pif et Hercule faisant la promo du gadget de la semaine.
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Oui, la «une» du numéro 27 est donc historique. C’est aussi la première fois que les dessinateurs de l’atelier réalisent la couverture.
Au 126, rue La Fayette, il y avait un petit hangar avec une verrière où Jacques Tabary (pour «Totoche Poche» en particulier), Motti et Yannick (pour Pif) travaillaient. On leur a donc apporté le gadget à illustrer et ils ont eu carte blanche. Ensuite, ils nous ont apporté un crayonné que nous avons approuvé... et ça s’est toujours passé comme ça.
Je dois dire que cette couverture nous avait semblé un peu confuse et, trente-quatre ans plus tard, je n’ai toujours pas compris ce que veulent dire les dessins du tableau noir.
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Page 2
medioni02a.jpg (2295187 octets)La rédaction pensait qu’un sommaire était indispensable à tout bon journal. En fait, il ne servait pas à grand chose mais on a mis du temps avant de s’en apercevoir. On remarquera, en haut à droite, un dessin de l’atelier qui réalisait tous ces petits dessins dont nous avions besoin.
medioni02b.jpg (144654 octets)Nombre d’éditos du rédacteur en chef n’étaient pas écrits par lui et pouvaient l’être par chaque membre de la rédac'. Or celui-ci a été écrit par moi et, si je m’en souviens, c’est qu’il y a une raison. J’étais à cette époque spécialement chargé du Journal des Jeux et je me souvenais que, tout enfant, l’une de mes lectures préférées était un petit fascicule du nom de Cent Blagues. Pas très intellectuel certes, mais c’était une passion.
J’ai donc proposé de donner à ces blagues une grande place dans le journal et l’idée que les lecteurs envoient leurs «meilleures» et soient primés est venue tout naturellement. Ce fut un grand succès.

Pages 3 à 7


Parmi les dessinateurs de Pif Gadget, Louis Cance était, hélas! celui que nous voyions le moins souvent car il habitait à Aurillac et venait très rarement à Paris. Louis Cance est un excellent dessinateur et aussi un très bon scénariste, mais le manque de contacts directs a empêché un travail en profondeur sur l’univers de Pif.
L’abandon de l’univers existant avant Pif Gadget (Tata, Tonton, Doudou, le pavillon de banlieue...) avait été voulu par la rédaction pour moderniser la série (une belle erreur à mon sens). Cela avait laissé un vide flagrant et cette histoire de Pif du n° 27 en souffre.

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Je me souviens que l’un des grands problèmes que nous avions était celui de l’orthographe. On recevait constamment des lettres d’instits nous reprochant les fautes que nous laissions. Il faut dire que ni les dessinateurs, ni les membres de la rédac' n’avaient de longues études derrière eux... La secrétaire de la rédaction, Germaine, relisait donc les planches et je corrigeais au mieux avec une plume «Sergent Major» et de l’encre de Chine. Dans la dernière bulle un «s» avait été oublié à la fin du mot «traine» et mon intervention n’a pas été des plus délicates... Mais Germaine n’était pas irréprochable. La preuve: elle avait oublié l’accent circonflexe sur le «i» de «traîne»...

Pages 8 et 9

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Ces deux pages côte à côte symbolisent bien ce que fut Pif Gadget. D’un coté, la recherche, l’innovation, le risque et, de l’autre, des bandes de bonne qualité accessibles à tous. Il fallait que l’enfant ait la possibilité d’évoluer, de découvrir, de passer d’un style à l’autre. Et c’est tout à fait consciemment que l’on plaçait Couik à côté du Concombre.

Page 10

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Je crois avoir vu Crespi une seule fois dans ma vie. Il habitait dans le Midi et sa présence depuis les tout premiers Vaillant lui donnait un statut particulier.


Pages 11 à 30

medioni12.jpg (573146 octets) Contrairement à d’autres planches de ce numéro 27, je me souviens assez bien de ce Robin des Bois. Il faut dire que le scénario de Jean Ollivier était excellent comme toujours et que le dessin de Coelho est merveilleux. Les originaux étaient de grandes dimensions et chaque case était pour moi un véritable tableau.

Regardez cette planche 2 (page 12) où le traitement du blanc et du noir reproduit à merveille l’ambiance de nuit que les flammes éclairent.

Regardez la composition des trois personnages de la première case de la planche 3 (page 13). Une prouesse. medioni13.jpg (431622 octets)
medioni23.jpg (698589 octets) Et dans les cases 4 et 5 de la planche 13 (page 23), les mimiques de ces trois personnages...
...et la beauté du château, exact dans tous ses détails. medioni30.jpg (669511 octets)

Page 31

medioni31.jpg (332246 octets) On appelait ces pages de l’«auto-pub». C’était dessiné par l’équipe de l’atelier (Jacques Tabary, Yannick et Motti) sur des demandes de la rédac'. On est loin des pubs commerciales «léchées». Le dessin de Pif y est ici particulièrement maladroit.

Pages 32 à 38

Moins de trois mois avant que cette histoire paraisse, les Tristus-Rigolus avaient fait une première apparition dans un épisode d’Arthur le Fantôme. Mais il ne faut pas s’y tromper, il était convenu dès l’origine que cette série prendrait vite son autonomie et la présentation de cette série par Arthur pendant quelques semaines était là pour que les amateurs de Cézard ne soient pas trop désarçonnés.
Je ne me souviens pas précisément du moment où notre ami Jean nous apporta ces planches-là (il venait toujours lui-même les porter à la rédac' et on passait à chaque fois au moins deux heures ensemble), mais en relisant ces deux épisodes je le revois, heureux, entouré de toute la jeune rédac' qui avait abandonné tout travail pour faire la fête au plus merveilleux des hommes.
A l’occasion de la sortie de mon livre, tous les «anciens», rédacteurs et dessinateurs, avec qui j’ai parlé ont été unanimes pour dire le choc ressenti à la mort de Jean en 1977.
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Page 39

medioni39.jpg (3324999 octets) Au début, on se creusait la tête afin que personne ne puisse du tout savoir ce que serait le prochain gadget. Notre règle était de garder la surprise totale.
Notre page de publicité n’était pas «vendeuse», cela n’avait rien à voir avec les techniques modernes du marketing, mais nos lecteurs devaient sentir notre côté amateur et bon enfant, notre naïveté, et c’était aussi cela qui plaisait.
Il en alla de même pendant des années. Ce fut aussi le cas pour les numéros de la Poudre de Vie et des Pois Sauteurs (chacun 1 million d’exemplaires).

Page 40-49

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J’avais discuté avec Roger Lécureux, sans doute à propos de cet épisode, du «couple» formé par le Grêlé et Von Hartz. Je craignais qu’à la longue Von Hartz apparaisse presque sympathique. Un peu comme Hercule par rapport à Pif... Roger m’expliqua qu’il utilisait ce «couple» pour simplifier son histoire et rendre son scénario plus efficace. Mais Roger, qui savait écouter, même un jeune blanc-bec comme moi, convint qu’il lui fallait être plus vigilant pour ne pas tomber dans ce travers. Dans les épisodes qui suivirent (par exemple ...Et l’herbe repoussera), Roger montra régulièrement le côté tragique de cette guerre et que les nazis (Von Hartz y compris), étaient capables des pires crimes. Ça servait aussi à cela la rédac' de Pif Gadget.

Page 50

Il faisait chaud en cet été 69 et la rédac' réclama de pouvoir tester à grande échelle le Super Gadget: le ventilateur de poche. Et pendant plusieurs jours dans tout le 126, rue La Fayette on entendit un bruit d’aérodrome. medioni50.jpg (226686 octets)
Avez-vous remarqué qu’il n'y a pas la moindre pub dans ce numéro?
Mady Chaignaud, qui était chargée de recueillir de la pub, avait toutes les peines du monde pour en dégotter. Le journal était alors vendu à près de 300 000 exemplaires et même avec un tel chiffre on parvenait difficilement à attirer les annonceurs. Il faut le dire, il y avait vis-à-vis de nous un véritable ostracisme (comparez avec les Tintin, Spirou et Pilote de l’époque qui vendaient trois fois moins que nous et dont les tarifs étaient le double du nôtre). Cela a duré des années et nos finances avaient du mal à le supporter.

Pages 51 à 68

pif-52-1.jpg (40147 octets) Mon livre comporte une partie assez conséquente sur le Journal des Jeux et s’il fallait que je commente ce Journal du n° 27 je ne ferais que me répéter. Juste quelques mots pour dire que le jeu-concours primé (page 52) ne fut jamais bidonné.
Quant au gadget que l’on trouve entre la page 58 et 61 il fait partie de ces gadgets ayant un prix de revient faible et qui nous permettaient de dépenser plus quand c’était nécessaire. Il n’empêche qu’il s’agit là d’un excellent gadget. J’imagine la fierté des lecteurs passant pour des magiciens aux yeux de leurs parents et de leurs copains... pif-59.jpg (27904 octets)

Page 69

pif-69-4.jpg (43004 octets) Mas, c’était vraiment le roi du gag!
Et Mas faisait toujours très attention à ce que sa planche corresponde à la saison où le lecteur lirait son gag. Et là, nous étions en août 1969.

Page 70 et 71

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Il ne s’agit pas du meilleur Gai-Luron et on a vraisemblablement gardé cette page pour un numéro du mois d’août quand les lecteurs sont moins nombreux et plus indulgents...

Page 72

Ah Mattioli! Il se sentait particulièrement à l’aise dans les strips (bandes) et on peut dire que ses gags sont vraiment très bons. Mais le lecteur de l’époque avait du mal à accrocher et on s’est dit que c’était peut-être la forme strip qui déroutait. Alors, plus tard, on lui a demandé de dessiner une histoire sur une page, mais ça n’a rien changé.
Mais qu’importe! C’était de la grande BD et elle est reconnue comme telle aujourd’hui. Ce n’est que plusieurs années après avoir quitté Pif Gadget que j’ai appris que M. le magicien avait disparu juste après mon départ du journal.
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Page 73

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Vous me croirez si vous voulez, mais je peux vous assurer que si je me souviens parfaitement de Mas apportant ses planches de Léo, je ne me souviens aucunement des scénarios de Jean Sanitas (le scénariste de Fanfan la Tulipe).

Page 74

medioni74.jpg (130104 octets) C’est vous dire si on aimait Mandryka à la rédac': deux séries dans le même Pif Gadget. Cette série, comme l’ensemble de son œuvre, n’a pas pris une ride.
J’ai eu Mandryka au téléphone il y a quelques jours à propos du livre Pif Gadget: la véritable histoire qu’il a particulièrement apprécié, et il m’a dit l’importance de ses premières années aux Éditions Vaillant et à Pif Gadget, et les bons souvenirs qu’il en gardait.

Page 75

J’ai honte. Je ne me souviens même pas de l’existence de cette publication (Pif. Les rois du rire). Par contre, remarquez le coup de patte d’Arnal... simple et parfait. pif-75-1.jpg (32490 octets)

Page 76

medioni76.jpg (305370 octets) Je n’ai gardé aucun souvenir particulier de cette planche. Aujourd’hui, j’ai régulièrement des entretiens téléphoniques avec Nicolaou, qui ne fut pas seulement le dessinateur de Placid et Muzo mais aussi celui de quantités incroyables de jeux et de bricolages pour les «Poches», tout en concevant nombre de gadgets. Il m’a dit: «Je vivais parfois une vie de forçat tant je travaillais à cette époque.»

Page 77

Je peux vous assurer qu’il n'y a pas la moindre lettre bidonnée dans ce courrier des lecteurs ! pif-77-1.jpg (134113 octets)

Page 78

pif-78-5.jpg (51575 octets) Ouf ! j’arrive au bout de ce pari et je ne pouvais rêver d’une meilleure chute que celle de ce Corinne et Jeannot !

Voilà, j’ai fini...

Comment ? J’ai écrit tout ça sur le numéro 27 ? ...pas croyable...
Je dis tout de suite au malin qui voudrait créer un site comparable à celui de Renaud Péri que je ne suis pas partant pour réaliser le même exploit pour les autres numéros de Pif Gadget car, comme le dit si bien Gai-Luron dans ce fameux numéro 27 :

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c'était L’HISTOIRE DU NUMÉRO 27 par Richard Medioni ancien rédacteur en chef de Pif Gadget

Comment ??? Vous ne connaissez pas encore son livre ?!